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Tiens, et si on allait se geler, heu, skier, dans le Jammu-et-Cachemire ?

Dernière mise à jour : 2 mai 2023


Srinagar, Février 2022.

Fouilles renforcées à l’aéroport, chars d'assaut et militaires/milices tous les 100 mètres, barbelés à perte de vue... Je n’ai jamais vu ça de ma vie et pour cause, l’État du Jammu-et-Cachemire est une des zones habitées les plus militarisées au monde ! S’ajoute à cela le fait que nous sommes en plein hiver, il fait très froid, le ciel est gris, les bâtiments sont gris, la pauvreté est palpable ; je ressens une profonde mélancolie face à cette zone sous tension. Des milices armées jusqu’aux dents arrêtent notre véhicule. Plus personne ne bronche à l’arrière de la voiture. Notre chauffeur parle fort, fait des grands gestes et je sens mon cœur s’accélérer. « Calme toi Clémence, il est du coin, il a l’habitude », me dis-je pour me rassurer. On nous fouille la voiture, les minutes mes paraissent des heures. On nous demande de payer je ne sais trop quoi, je m’exécute sur-le-champ et donne l’équivalent de 5 euros. La voiture redémarre enfin et la tension redescend : direction Gulmarg, l’une des rares stations de ski d’Inde, qui se situe à quelques pas de la frontière pakistanaise.


La seule pièce chauffée de notre guest house

Arrivés à destination, deux jeunes Cachemiris nous barrent gentiment la route. Le premier verse de l’eau bouillante sur les mains du second qui gratte à mains nues dans la neige. Mais qu’est-ce qu’ils font les bayas * (grands frères en hindi*) ? Ils nous expliquent qu’ils essaient de dégeler le tuyau d’arrivée d’eau qui alimente Raja hut, notre guest house… Cette dernière se divise en deux parties bien distinctes :

- La pièce principale, pleine à craquer de " surfeurs/fumeurs de joints/je n’ai pas eu d’eau depuis des jours " qui viennent se réchauffer autour d’un poêle à bois,

- Le reste de la maison, non chauffée. Notre chambre est un vrai frigo ! Elle est équipée :

- D’un baby chauffage d’appoint (qui a rendu l’âme au bout de deux nuits),

- D’une couverture chauffante qui, selon ses humeurs, ne fonctionne pas ou nous brûle les fesses lorsqu’elle se met en route,

- Et d’une épaisse couverture qui, sans exagérer, doit peser dans les 30 kilos. Pour couronner le tout, il n’y a pas d’eau (mais ça tu le savais déjà) et l’hygiène est plus que douteuse. Toi aussi tu le sens qu’on va se cailler les miches dans cette hutte toute pourrie ? Ils sont immenses ces skis, non ? Yasin, le responsable du "ski shop", nous offre un chai* (thé*) brulant et fini par nous expliquer que l’ensemble du matériel est de seconde main. « On rachète les équipements aux touristes nordiques et canadiens avant qu’ils ne quittent la station. Le ski n’étant pas répandu et accessible en Inde, il n’y a pas de marché donc pas de distribution ». Intéressant. En route pour le seul télésiège de Gulmarg, communément appelé Gondola, qui dessert deux phases : une première à 2 660 mètres d’altitude et une seconde à 3 980 mètres d’altitude.

* Instant guide touristique *

  • Si comme moi tu t’attends à pouvoir jongler comme bon te semble entre les pistes damées, autant te dire direct que tu te mets le doigt dans l’œil : il y en a très peu ! Il n’y a pas vraiment d’entre-deux à Gulmarg : - Soit tu fais du " semi-hors-piste " (équivalant à un bord de piste chez nous) ou du hors-piste, - Soit tu fais de la luge ou apprends à skier en bas de la station avec les enfants (et j’inclus dans le lot les parents car les Indiens sont de grands enfants devant l’éternel).

  • Les déposes en hélicoptères en phase deux ne sont plus autorisées (trop de tension entre l’Inde et le Pakistan).

Wooooww ! Par-dessus les nuages, les chaines de l’Himalaya se dressent sous nos yeux. On a l’impression que les montagnes flottent au-dessus d’un océan de coton. Qu’est-ce que c’est beau !

Là débute notre journée à 2 660 mètres d'altitude. Nous jonglons entre les champs de poudreuse à perte de vue et les slaloms interminables entre les rochers et les sapins. Il n’y a personne, c’est génial, nous avons l’Himalaya pour nous ! Mais je crois que celui qui prend le plus son pied dans l’histoire, c’est notre guide ! Il n’a quasiment pas skié depuis 2 ans (plus de touristes avec la Covid), on ne l’arrête plus ! On demande à faire une pause pour manger un bout, il râle timidement et demande s’il peut continuer à skier le temps que nous cassions la croute. On se marre avec Lucas et on apprécie ce moment que nous avons tous les deux avant de repartir sur les pistes avec Duracell Plus.

J’ai vraiment skié comme un knacki réchauffé ! Je suis sur les rotules, je suis trempée, j’ai froid. Je ne pense qu'à une chose : prendre une douche bien chaude… Tu la vois arriver la suite ? À défaut d'eau chaude, on demande à Raj’, le proprio de la hutte, s’il peut rallumer le poêle dans la salle commune. On les voit, lui et ses potes, partir dehors avec une hache ; ils coupent directement des branches sur l’arbre à moitié gelé et viennent les déposer sans attendre dans le poêle. C’est tout un concept ! On a froid, mais on rigole bien quand même : plus décontract’ qu’eux, tu meurs ! Nouvelle journée qui démarre : j’ai les fesses gelées, j’ai les genoux explosés et je n’ai pas envie de speeder comme la veille. Je déroge à mon programme et opte pour une demi-journée raquette avec un guide et j’ai tellement bien fait ! Totalement coupés de tout, sans réseau, sans aucune nuisance sonore ou visuelle, à tracer pendant des heures notre propre chemin dans de la poudreuse fraîche qui nous arrive jusqu’au-dessus des genoux… Je vis le bonheur à l’état pur !

Pendant ce temps-là, Lucas entame sa marche à 3 980 mètres d’altitude sous un vent glacial... Il chausse ses skis 30 minutes plus tard et entame une descente vertigineuse en hors-piste du point le plus haut jusqu’au point le plus bas de la station. Lucas est comme un fou et je le comprends, Gulmarg c’est vraiment le paradis du hors-piste et de la poudreuse !

Bon à savoir : à la fin de cette journée sportive, tu dois encore marcher une heure puis prendre un taxi pour revenir jusqu’au centre de Gulmarg.

Je suis de retour au guest house et je rêêêve de me laver à l'eau chaude aujourd’hui. Que nenni ! Agacée, je décide d’aller marcher dans la station et tombe sur Raj’ le proprio. « On va au marché, tu viens ? ». À l’air libre à l’arrière d’un pick-up, à juste profiter de l’instant présent sans me soucier du reste, j’observe les montagnes au loin tout en me grillant la cigarette qu’on m’a offerte. Je me sens libre.

« Bonjour, j'aimerais une connexion internet svp »

Les cartes SIM prépayées (prepaid) ne fonctionnant pas au Jammu-et-Cachemire (privilégier les abonnements mensuels (postpaid)), je décide donc d’aller me réchauffer et choper du réseau dans l’un des établissements hôteliers de la station et là, ça coince. « Seuls les clients de l’hôtel sont acceptés ». C’est une blague, il va vraiment me laisser mourir de froid ? Il faut croire que j'ai une tête à me prendre des vents parce que je vais de défaites en défaites, jusqu’à ce qu'on me glisse que la politique à Gulmarg est de dormir et de manger dans le même hôtel. Ce n’est ni au Raja hut ni aux quelques restaurants et cafés sommaires de la ville que je vais pouvoir décongeler en paix et avoir une bonne connexion internet… « Houston, nous avons un problème ! ».

Après quatre jours et quatre nuits à geler de froid et à se doucher à l’eau glacée, Lucas et moi décidons d’écourter notre séjour à Gulmarg et d’aller visiter Srinagar avant de reprendre l’avion pour Pune.

* Note à moi-même : la prochaine fois, penser à réserver un hôtel bien, à l’avance, avec chauffage inclus (ce qui peut s'avérer être un vrai challenge car le chauffage central n'est pas chose commune dans l'Himalaya) ! *


Si Srinagar en hiver ne m’a pas fait vibrer, j’ai tout de même adoré deux expériences que j’ai vécues ici :

1. Observer l’organisation du marché flottant sur le lac Dhal au petit matin : Éclairée par la lune, notre chikara (pirogue typique du Cachemire) navigue à travers la brume, les house-boats et la végétation alentour en hibernation. Les muezzins appellent les fidèles à la prière au loin ; il y a une ambiance particulière sur le lac endormi et brrrr, qu’est-ce qu’il fait froid ! Je me blottis sous les couvertures mises à notre disposition et profite de ce moment hors du temps. Notre chikara s’arrête : nous sommes les premiers arrivés au marché flottant. Progressivement les marchands de légumes, de fleurs, de chai arrivent sur les lieux. Ils sont tous vêtus d’une phéran (poncho traditionnel en laine), en position accroupie et pieds nus ! Deux questions me traversent alors l’esprit :

  1. Comment font-ils pour ne pas congeler sur place ?!

  2. Comment font-ils pour rester en position de squat ?!

Marchand avec son kangri

Réponse un : un pot de terre cuite entouré d'une attache en osier (kangri) et alimenté au charbon de bois est caché sous leurs ponchos, ce qui permet de réchauffer leur corps mis en boule. So smart ! Réponse deux : le " squat asiatique " se pratique dès le plus jeune âge et est considéré comme une position de repos en Asie, d'où cette facilité à tenir la pose aussi longtemps. Si ça te branche d'en savoir plus à ce sujet, je te conseille de regarder cette vidéo : Pourquoi le squat asiatique est-il si difficile ? de Scilabus Feat Major Mouvement

Le calme laisse place à l’animation, les pirogues se bousculent, les négociations vont bon train. Seul élément extérieur à ce décor, notre chiraka est aux premières loges : un troc prend place juste sous nos nez, en une minute chrono le deal est plié. Le vendeur de salade arrose alors cette dernière avec l’eau du lac (ça pour être rafraichie, elle l’est !), pendant que l’acheteur pèse la salade et la fait monter à bord de sa pirogue. Un chai wala* (vendeur de thé*) s’approche de nous et nous sert un thé au lait et à la rose. On discute, il nous a à la bonne et nous offre un dessert maison qu’il tartine de miel : délicieux ! Vient un marchand de fleurs qui veut à tout prix que Lucas m’offre un bouquet ; on trouve un compromis et on lui achète quelques graines. Au loin ça s’agite, un des vendeurs poursuit un de ses confrères et lui donne des coups de rames… Certains vendeurs viennent se glisser entre eux pour les séparer, pendant d’autres rigolent, nous y compris. La lune a laissé place au soleil, les montagnes enneigées se dessinent au loin, c’est magnifique. Le marché est terminé, nous sommes les derniers à repartir pendant que les marchands se retrouvent au café flottant du coin pour partager un chai bien chaud.


2. Le van partagé, c’est quelque chose ! Écologique et économique (20 roupies par tête et par trajet, soit 24 centimes d’euros pour traverser une bonne partie de la ville), c’est l’un des moyens de locomotion les plus répandus par ici. Le premier véhicule qui a de la place s’arrête au bord la route : dans le meilleur des cas, le nombre de passagers par siège sera à peu près respecté, dans le pire des cas ça sera selon l’appréciation du chauffeur. Ce qui est sûr c’est que c’est un vrai bazar organisé : les uns sortent pendant que les autres s’engouffrent dans un van qui est déjà plein à craquer. À l’avant comme à l’arrière, même combat : les enfants s’assoient sur les genoux de leurs parents tandis que les autres passagers s’entassent comme des sardines en boîte. Pas d’arrêt prédéfini, le chauffeur s’arrête à la demande et un système de passe-passe s’enclenche dès que l’un des passagers compte sortir du van. Les billets se déplacent de main en main depuis l’arrière jusqu’à l’avant du véhicule, le conducteur encaisse l’argent et renvoie la monnaie, le tout en conduisant. J’ai le sourire jusqu’aux oreilles, je suis sûre qu’on me prend pour une folle mais je m’en fiche : c’est typiquement le genre d’expérience qui fait que j’aime voyager ! Que faire d’autre à Srinagar durant le printemps-été, lorsque le temps est clément et que les arbres sont en fleurs :

  • Dormir dans un house boat sur la Lac Dhal,

  • Se balade dans les parcs moghols et le jardin des tulipes, Indira Gandhi Mémorial,

  • Partir en trek.

Quelques photos supplémentaires :


Le front écrasé contre le hublot, j’observe les chaînes de l’Himalaya qui s’étendent à perte de vue sous mes yeux. La tête remplie de souvenirs incongrus, le cœur réchauffé par la gentillesse des Cachemiris, je me pose alors la question suivante : Est-ce que voyager c’est suivre une " To do list " des choses à faire, ou bien c’est savoir déroger de son programme pour saisir des instants de vie ? Où manger typique et/ou boire un kawa (thé au safran) :

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