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Mais elle ressemble à quoi ta vie en Inde, Clémence ? – Partie 1

Dernière mise à jour : 2 mai 2023


Janvier 2023. L’une des filles d’un couple d’amis se dirige vers moi avec son cahier d’Histoire. Elle ouvre ce dernier à une page précise et me le met sous les yeux : " Introduction sur l’Inde ". Elle me laisse le temps de lire ce que le professeur des écoles lui a enseigné, puis me pose la question suivante : « C’est ça ta vie, Clémence ? ». Je l’observe, ses yeux sont pleins d’interrogations et son langage corporel traduit de l’excitation. « Oui, à quelques détails près, c’est ma vie », lui répondis-je. Ses yeux se grandissent, il semblerait que ce soit la réponse qu’elle attendait. « Cool ! Je l’ai déjà dit à tout le monde que je connais quelqu’un qui habite en Inde ! ». Et elle repart toute guillerette avec son livre à la main.

Cette situation m’a fait tilt. Si, pour mon mari et moi, notre vie en Inde est devenue notre quotidien, elle paraît beaucoup moins évidente pour l’ensemble de nos relations et à juste titre. Alors, c'est vrai, elle ressemble à quoi ma vie au juste ?


* Note aux lecteurs : mon récit est un condensé de mon expérience personnelle et de mes ressentis après plus de deux ans de vie ici. Bien entendu, le retour sur expérience peut varier d’une personne à l’autre et c’est ce qui fait la beauté du voyage et du parcours de vie de chaque individu. *


Minuit… Trois heures du matin… Quatre heures trente du matin… Six heures du matin… Ce n’est pas bientôt fini ce cirque ?! Les chiens errants sont de plus en plus nombreux dans ma rue et tous les soirs, c’est la même rengaine : la guerre des territoires s’enclenche, les aboiements fusent et raisonnent dans mon quartier, et ça ne semble déranger personne. Le réveil sonne, je suis sur les rotules et commence, comme tous les jours ou presque, ma journée en me levant du mauvais pied. Je décide d’aller passer mes nerfs au sport, puis je m’achète une noix de coco fraîchement cueilli dont je bois le jus et mange la chair tout en me déambulant dans les rues paisibles de Koregaon Park (K.P. pour les intimes). Véritable jungle et poumon de verdure en pleine ville, c’est toujours avec plaisir que j’arpente ce quartier résidentiel où les belles maisons, ou plutôt les petits palais modernes, et le Centre de médiation Osho se mêlent aux majestueux banians trees, bougainvilliers, frangipaniers et autres arbres exotiques. Les perroquets chantent, j’adore ça et savoure ce moment, bien que le sifflement du train au loin me rappelle que la frénésie de la ville est toute proche.




Le long de la North Main Road

Retour à la réalité : en une fraction de seconde, ma bulle de bien-être explose et me voilà le long de la bruyante et embouteillée North Main Road où je jongle entre les trottoirs et la route lorsque les trottoirs sont inexistants ou en mauvais état. Les hommes comme les femmes me dévisagent avec insistance, mais j’ai arrêté d’y prêter attention et me concentre plutôt sur les racines d’arbres et autres trous à éviter. Le trafic est dense, ici pas d’excès de vitesse, mais des klaxonnements à tout-va pour signaler au conducteur de devant sa présence et son intention de le doubler. Il n’est pas rare de voir des scooters ou des rickshaws conduire à contresens, tout comme des vaches en train de chiller au beau milieu de la route : c’est un joyeux bordel ! Je sens qu’on me touche le bras et qu’une main me prend la mienne, je me retourne et me retrouve face à une famille de mendiants. J’ai beau leur avoir donné de l’argent, ces derniers continuent à me poursuivre si bien que je finis par me réfugier dans un rickshaw. On se met d’accord, le conducteur et moi, sur le prix de la course et me voilà partie en direction du Vieux Pune.


« Bonjour, j'ai rendez-vous pour une pédicure »

Au feu, un transsexuel (ou " troisième sexe " comme ils sont surnommés ici) vient me baiser les pieds et me caresser la cuisse, je lui sors deux-trois mots d’hindi, il comprend que je ne suis pas une touriste et s’en va faire la manche un peu plus loin. Il fait de plus en plus chaud, je suis en mode « autocuiseur » dans mon rickshaw, et le centre de tri des poubelles pas très loin dégage une odeur dans la ville… Comme si mille couches de bébés étaient toutes simultanément en train de faire bronzette sous le soleil cuisant indien… Le rickshaw conduit vite, il prend les dos-d’ânes à fond la caisse, ces derniers étant d’une hauteur d’un autre monde, mon carrosse s’envole, je me cogne la tête au plafond et demande au chauffeur de faire plus attention. Il me regarde dans son rétroviseur et dodeline de la tête en guise d’approbation. Coincée dans la circulation, pris en sandwich entre une charrette et une Porsche, je respire à pleins poumons les pots d’échappement et observe des cochons sauvages qui traversent la route afin d’aller dévorer les déchets éparpillés çà et là.

Offrandes pour la puja

Quarante minutes plus tard, je pose les pieds dans le vieux Pune. Le bruit est assourdissant, ça grouille de monde, la ville est surchargée d’enseignes lumineuses, de boutiques, snacks, bazars et marchés éphémères en tous genres. Les étals d’épices se succèdent aux étals de fleurs, ça sent bon les marigolds, le massala (curry) et l’encens, mais aussi l'humidité, la poussière et la saleté. Si certains bâtiments sont noirs de crasse et tombent en ruine, d’autres sont encore en bon état et avec de superbes couleurs : je suis sensible à tous ces contrastes et sors mon appareil photo. Je suis extirpée de mes pensées par une femme qui vient violemment tracer avec son index un trait de pigment orange sur mon front. Elle me demande de l’argent, je l’écarte de mon chemin avec mon bras droit et m’essuie le front avec mon bras gauche. Au loin, j’entends de la musique, il semblerait qu’il y ait un festival. Je passe devant l’un des plus importants temples hindouistes de la ville, ce dernier est magnifiquement décoré de guirlandes de marigolds jaunes et orange. Je décide de me déchausser et de rentrer à l’intérieur de ce dernier. C’est la cohue ! Les gens parlent fort, se bousculent et certains sont déjà en état de transe avant même d’avoir atteint l’autel. Tout en me faisant emporter par la foule, je lève la tête pour observer la beauté du bâtiment, en particulier l’imposante statue en or à l’effigie de Ganesh. J’observe le brahmin (prête) en train de faire la puja (invocation) : il sonne une clochette et récite des mantras tout en procédant à l’offrande de fleurs fraîches, de denrées et d’encens allumés. Il vient délicatement poser son pouce plein de pigment rouge sur mon front et me dessine un tilak (ou bindi), me donne une moitié de noix de coco puis, aussitôt le rituel terminé, je suis déjà poussée en dehors du temple par le monde et me retrouve à marcher pieds nus dans la ville, mes chaussures m’attendant sagement de l’autre côté du temple.



Exemple de festival dans la ville

Au secours ! Les haut-parleurs, dont jaillissent de la musique et un mantra chanté par une femme à la voix nasillarde, me déclenchent des acouphènes tellement le son est fort et, comme si ce n’était pas suffisant, une fanfare se joint à ce bruit ambiant. Des hindous dansent, les hommes et les petits garçons arborent des dhotis kurtas (robes traditionnelles) et certains sont coiffés de casquettes blanches en référence à Mahatma Gandhi, tandis que les femmes sont parées de leurs plus belles kurtas ou de leurs plus beaux saris (longue pièce d'étoffe traditionnelle) et les petites filles sont habillées en princesses : c’est le rendez-vous des mille et une couleurs, c’est très beau. Deux femmes viennent m’attraper les mains et m’attirent vers elles. Elles sourient de toutes leurs dents, elles semblent heureuses ; je me prends au jeu et danse avec elles. « Namaste », dis-je après avoir joint mes mains en face de mon cœur et m’être inclinée devant les danseuses hindoues en guise de respect et de remerciement. Ces dernières font de même, puis je tourne les talons et quitte l’artère principale de la ville pour aller flâner dans le bazar et dans le quartier commerçant. Si, de prime abord, cela semble être le désordre général, il y a en fait une véritable logique et organisation dans la ville avec des quartiers en fonction de chaque spécialité : celui des bijoux, celui de la ferronnerie, celui des ustensiles de cuisine, celui des produits électroniques ou encore celui des pièces de moto… Je rentre dans une boutique de chaussures, le vendeur me suit de partout et essaie de me pousser à l’achat en me mettant dans les mains des chaussures qui ne sont pas du tout à mon goût et qui, en prime, ont deux pointures de plus que la mienne ; ça m’agace et je quitte les lieux.



Ingrédients du Vada pav : un petit pain, une boulette de pommes de terre frites et beaucoup d'épices

Direction mon ancien centre de formation ayurvédique où je suis invitée à manger. Dr Sanjeev et Dr Suvarna m’accueillent chaleureusement et m’invitent à m’asseoir en tailleur à même le sol. Je m’exécute et observe Suvarna. Cette dernière s’assoit en face de moi, ouvre son dabba (lunch box) à plusieurs étages et prépare méticuleusement les assiettes de chacun. Au menu : snacks (samoussas, vada pav), crudités, dal (lentilles), riz, chapatis (pain) et ghee (beurre clarifié), légumes au massala, raïta (yaourt) et gâteau de semoule au miel et à la cardamome. Nous ne sommes que trois, pourtant la quantité de nourriture est astronomique ! Je laisse Sanjeev et Suvarna faire leur prière puis, dans le silence le plus total, nous entamons notre repas, sans couverts, la main droite en guise d’unique couteau et fourchette. J’ai alors cette même impression que lorsque je m’amuse encore aujourd’hui à mettre des framboises au bout de mes doigts et à les aspirer une par une. J’ai du jus de framboise plein les doigts, les dents toutes rouges et des graines plein la bouche, mais je ris comme si j’étais revenue en enfance l’espace d’un instant et c’est ce même sentiment que j’éprouve lorsque je mange avec les doigts en Inde. Le repas est délicieux et ça sent vraiment bon ; je me régale, à un détail près : certains des plats sont vraiment très épicés… Croc ! Je me raidis, je viens de croquer un piment et je sens déjà mon palais chauffer. Vite, vite, je mange de la raïta afin d’apaiser ma bouche en feu ! Ça fait rire Sanjeev et Suvarna qui profitent de mon moment de faiblesse pour me reremplir mon assiette.


Rayon boucherie à Shivaji Market

L’estomac lourd et fébrile à cause de la nourriture épicée, le cerveau assommé par le soleil et la chaleur de début d’après-midi, je marche au radar jusqu’aux marchés couverts de Mahatma Phule et de Shivaji. Si le premier marché est calme et propre, le second est littéralement l’opposé. De loin, je vois déjà les faucons rôder en masse au-dessus de Shivaji Market et, plus je m’en approche, plus je sens l’odeur nauséabonde du marché qui vient me chatouiller les narines. Je mets mon foulard devant mon nez et entre dans l’enceinte du bâtiment. À chaque fois, c’est pareil, que ce soit au rayon volaille, poisson ou viande, l’odeur me provoque des haut-le-cœur. Quant à l’aspect visuel… C’est sale et, selon les jours, tu as le droit : aux rigoles pleines de sang, de plumes et d’écailles, aux chats errants et aux faucons en train de guetter le moindre bout de nourriture à chiper, aux hommes en train de tirer des bassines remplies d’entrailles, aux têtes de buffles dépouillées posées à même le sol, aux volaillers et poissonniers qui utilisent les mêmes planches et les mêmes couteaux, aux musulmans qui coupent le buffalo ou le mouton sur des billots qui n’ont pas l’air plus propre… Ou bien, si tu es chanceux, tu as le droit au package complet ! Cette même viande/volaille/ce même poisson sont redistribués dans toute la ville (restaurants, revendeurs) et c’est à ce même marché que Lucas et moi venons faire nos courses lorsque nous sommes en manque de nourriture non-végétarienne ; il faut juste faire abstraction au côté « brut » auquel nous ne sommes pas habitués nous, les " western people ". Je marche d’un bon pas en direction du rayon fruits et légumes que j’adore. Ici, c’est plus calme et plus propre, mais surtout les fruits et les légumes sont triés par types et par couleurs, c’est très esthétique et joli à voir, et ça me faire rigoler de voir les commerçants perchés en haut de leurs étals, assis les jambes en tailleur ou en train de piquer un somme. Le marchand ne parle pas anglais et préfère s’exprimer en marathi (langue locale de l’État du Maharashtra) plutôt qu’en hindi, nous communiquons donc avec les mains et des dodelinements de tête et j’achète pléthore de papaye, ananas, mangue, noix de coco, banane, fruit du dragon, fruit de la passion, physalis, durian et autres curiosités pour me faire plein de jus de fruits frais. Mes sacs de courses sont remplis et ça ne m’a rien coûté ! Satisfaite, je m’arrête prendre un chai au stand du coin avant de rentrer chez moi.



Mon estomac fait des bonds, les plats trop épicés ont eu raison de moi ; en PLS sur mon canapé, je suis au bout de ma vie ! On sonne à la porte. Mais qui cela peut-il bien être ?


… La suite au prochain épisode…

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